Le harcèlement moral individuel

jeudi 6 juin 2013
par  SUDEDUCNICE
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Bien souvent, nos équipes syndicales sont interpellées par des collègues qui se plaignent de harcèlement.

Souvent, la souffrance qu’éprouvent ces collègues est
très forte. L’enjeu d’une intervention syndicale est de
sortir le/la salarié-e qui se sent harcelé-e d’un isolement qui peut conduire aux plus tragiques extrémités.

Un isolement bien trop souvent savamment construit,
minutieusement élaboré, par des méthodes de management décidées à traquer le « maillon faible »… voire à le fabriquer de toute pièce.

Cette souffrance, il ne faut pas l’écarter, mais bien la relier à une situation de travail anormale et inacceptable.

Aux sources de notre syndicalisme il y a le principe fondamental qu’une injustice faite à l’un-e est une injustice faite à toutes et tous.

C’est bien pour cela que notre action quotidienne et collective doit être un
rempart qui affirme sans ambages que le travail doit s’adapter à l’homme et à la femme… et non l’inverse

 [1]

 Repérer les signes du harcèlement moral

Il y a toujours un commencement qui peut sembler négligeable ou sur lequel les salarié-es, et parfois même les syndicalistes, préfèrent « passer ».

C’est le supérieur hiérarchique qui retire une fonction ou une tâche à un-e salarié-e, tâche ou fonction qui lui était habituellement attribuée, ou même qui lui avait été promise (parfois verbalement, ce qui peut ajouter à la
confusion : « j’ai peut-être mal compris… »). C’est le sentiment que le « chef » a tendu un piège, reproché une faute – alors que le/la salarié-e est de bonne foi – ou humilié en public.

C’est un changement d’attitude des collègues qui
semblent gênés en la présence d’un-e salarié-e « montré-e du doigt » et qui l’évitent. Il s’agit peut-être d’un début de harcèlement. L’attentisme est la pire des solutions : c’est dès le début qu’il faut réagir !

  Premières pistes d'action

Le fil conducteur de l’action syndicale sera de ne pas traiter le salarié comme une victime et d’éclairer les situations de travail, notamment les différents conflits en cours, par le dialogue et l’écoute.

Au salarié qui évoque un harcèlement, il faut proposer de tenir immédiatement un cahier personnel dans lequel il/elle indiquera le jour, l’heure, la situation, les
noms de toutes les personnes présentes pour chaque situation (qu’il ne faut pas hésiter à solliciter pour contresigner les faits recueillis). Il ne faut omettre aucun
détail, y compris le plus anodin !

La mémoire humaine n’est pas infaillible et bien souvent, deux ou trois mois
après (quand il ne s’agit pas d’années) il est difficile de retracer un enchaînement de faits et de conséquences.

C’est la répétition des actes malveillants dans la durée qui fondent le harcèlement : accumuler les traces et les preuves, les inscrire dans un cadre chronologique, est déterminant en cas de procédure juridique ultérieure.

S’ils ne sont pas exhaustifs et que la jurisprudence traduit régulièrement en droit de nouvelles situations en autant de cas de harcèlement, les faits qui suivent indiquent ce qui peut être retranscrits par un-e salarié-e harcelé-e :

  • Se faire « charrier » par un supérieur qui fait rire les collègues aux dépens du/de la salarié-e ;
  • Apprendre que des informations ont été communiquées à des collègues… mais pas à toutes et tous et pas au/à la salarié-e ;
  • Ne pas avoir été invité à une réunion ou alors y avoir été invité mais avec un tour de table qui s’interrompt brusquement lorsque c’est le tour du/de la salarié-e de s’exprimer ;
  • Avoir une prime moins élevée (ou pas de prime du tout) pour un travail identique…

Aller voir le syndicat ou la section syndicale, échanger autour de la tenue de ce cahier est un des éléments qui permet de combattre le sentiment de culpabilité
qui tenaille trop souvent le/la salarié-e harcelé-e.

C’est s’appuyer sur des faits sur lesquels on peut se déterminer avec d’autres sur ce qui est vécu, sortir du ressenti personnel. C’est un atout pour retisser du collectif et, une fois encore, sortir de l’isolement, du ressassement qui conduit à l’aigreur et au mal-être.

Et bien souvent c’est s’apercevoir que ces faits qu’on croyait être seul-e à subir, d’autres le voient, le supportent…ou les subissent eux/elles-mêmes !

En tout état de cause, lorsque le/la salarié-e ne supporte plus une situation de travail, il/elle peut invoquer une situation de danger grave et imminent et user de son droit de retrait (Article L4131-1 du Code du travail).

Il est toutefois préférable de solliciter l’intervention des élu-es ou représentant-es en CHSCT, ou bien des délé-gué-es du personnel, afin qu’ils/elles déposent un droit d’alerte ce qui évitera au/à la salarié-e en souffrance d’être trop « exposé-e » (articles L.4132-2 et L. 2313-2 du
Code du Travail).

Par ailleurs, le dépôt d’un droit d’alerte, sans nier la souffrance individuelle, la relie à un dysfonctionnement collectif du travail.

 Les erreurs à ne pas commettre par le/la salarié-e harcelé-e

  • Croire que l’affaire s’éteindra d’elle-même :

Vaut-il mieux ne pas en parler pour ne pas aggraver les choses ? Il faut inciter les salarié-es à ne pas taire des situations douloureuses. Trop de personnes
n’agissent que lorsque la situation est tellement embourbée qu’elle en est invivable et qu’ils/elles multiplient les congés maladie, sont victimes d’insomnies, de stress, ne parviennent plus à communiquer avec
leurs collègues, leurs amis et leur famille, deviennent
agressifs ou retournent leur agressivité contre eux/
elles-mêmes.

  • Vouloir régler l’affaire par ses propres moyens :

Attention, il est peu probable qu’un simple entretien
ramène le harceleur, le plus souvent un supérieur hié-
rarchique, à la raison ! Dans un premier temps, on peut
choisir de le rencontrer pour une explication franche
en face à face mais jamais seul : rien ne l’empêcherait
sinon de nier les insultes ou humiliation, les propos
violents et dégradants.

 Accompagner et défendre

En tout état de cause, un accompagnement syndical est nécessaire. Y compris pour éviter au/à la collègue de tenir des propos, sous le coup de la colère, qui pourraient être retenus contre lui/elle par la suite.

C’est aussi parfois nécessaire pour reprendre ce qui a été dit avec le/la salarié-e : mis en face de son harceleur, il/elle peut déformer les propos de celui-ci, entendre des choses qui ont été dites dans un autre sens… ou aussi ne
pas identifier des menaces ou tentatives d’intimidations que le/la syndicaliste saura par contre peut-être décrypter.

Accompagner et défendre sont bien les maîtres-mots pour notre action syndicale face au harcèlement moral.

Le statut de représentant du personnel, de délégué syndical, est une protection dont ne bénéficie pas le/la salarié-e harcelé-e.

Ce statut vous autorise à l’accompagner dans toutes ses démarches, s’il/elle le souhaite, y compris devant le médecin du travail/de prévention qu’il ne faut pas hésiter à saisir.
Comme lors d’un entretien avec le supérieur hiérarchique, un accompagnement syndical lors d’une visite médicale, bien souvent, cela « change la donne ».

Par ailleurs, en CHSCT, ou en qualité de délégué du personnel dans les entreprises de moins de 50 salarié-es, il est possible et souhaitable de mettre les questions de harcèlement moral, en lien avec les situations de travail
vécues, à l’ordre du jour des réunions avec l’employeur.

Rappelons que pour les DP : « en cas d’urgence, ils sont reçus sur demande » (Article L2315-8 du Code du travail).

N’y a-t-il pas urgence lorsque un-e salarié-e souffre ?

L’enquête CHSCT (ou du DP) est aussi un bon moyen
pour sortir de l’individualisation.

 Et l'action collective ?

Bien sûr, l’idéal est de réussir à construire une action collective face à des faits de harcèlement. Une délégation forte et déterminée auprès du harceleur et qui exige qu’il cesse ces agissements peut être du meilleur effet.

Très clairement, c’est envoyer un signal fort comme quoi l’un-e d’entre-nous n’est jamais seul-e.

On peut aussi imaginer une demander d’audience collective par le niveau hiérarchique supérieur pour que cela cesse en exposant les faits. Dans ce cas, demander une réponse rapide en rappelant l’obligation de sécurité
de résultats peut calmer bien des ardeurs.

Mais cela peut aussi être un « cahier de doléances » mis à disposition des salarié-es pour relater les faits, dires et actes constatés par les salarié-es du même service ou secteur.

Les réunions ou heures d’informations syndicales sont aussi de bons moments pour échanger, y compris sur des situations individuelles : bien des incompréhensions peuvent y être levées, des ragots s’y éteindre…

Mais en tant que syndicaliste nous devons tenter de dépasser une situation identifiée comme un conflit entre 2 personnes et nous interroger sur les causes de la dégradation des conditions de travail en remontant le fil des
événements pour connaître l’événement déclencheur qui sera presque toujours un désaccord sur le travail.

En remettant au cœur de l’analyse et du débat l’organisation du travail, cela change tout, on n’a plus un bourreau et une victime mais une situation conflictuelle sur le travail.

Cela nous permet de passer d’une approche individuelle à une approche collective, d’en débattre collectivement avec les autres collègues de travail, et de dépsychologiser les conflits au travail dans lesquels veulent nous
enfermer les employeurs. Nous devons questionner le travail et pas seulement le comportement du chef.

 Quelles suites ?

Surtout ne pas démissionner ! Dans certains cas, une mutation (sans préjudice) peut être considérée comme une victoire. Il ne faut pas trop se faire d’illusions sur d’éventuelles sanctions disciplinaires contre le harceleur, surtout s’il s’agit d’un chef. La hiérarchie protège la hiérarchie.

En revanche, une action juridique est possible, à engager avec le syndicat. Bien souvent en cas de harcèlement moral, on ne pense qu’aux juridictions pénales,
mais le Conseil des prud’hommes peut également être saisi d’autant qu’il tranche plus souvent en faveur des salarié-es. Les 2 juridictions peuvent être saisies, l’obligation pour la personne concernée étant d’établir la maté-
rialité des faits précis et concordants (témoignages, certificats médicaux, courriers électroniques ....)

Dans tous les cas, l’absence de mesure préventive ou de sanctions
prises par l’employeur à l’encontre du harceleur peuvent être portées au bénéfice du salarié-e dont la souffrance remettant au cœur de l’analyse et du débat l’organisation et le harcèlement doit être reconnu.

 A signaler une jurisprudence intéressante

Pour la première fois dans un arrêt du 10 novembre 2009 (n°07-45.321) la Cour de cassation a qualifié les méthodes de gestion mises en œuvre par un supérieur hiérarchique de harcèlement moral au sens de l’article
L. 1152-1 du code du travail.

La chambre sociale de la Cour de cassation a estimé que « les méthodes de gestion mises en œuvre par un supérieur hiérarchique (...) peuvent
caractériser un harcèlement moral (...) dès lors qu’elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d’entraîner une dégradation des conditions de travail susceptible de
porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé
physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».

Ainsi des méthodes de gestion mises en œuvre par un supérieur hiérarchique peuvent caractériser un harcèlement moral à l’égard d’un salarié.une
Enfin le salarié en cas de plainte peut saisir l’inspection du travail.

 Agir en amont pour prévenir le harcèlement moral

Les pénalités

Article 222-33-2 et 222-3 du code pénal :

Les délits de harcèlement moral et sexuel, définis aux
articles L. 1152 1 et L. 1153 1, sont punis de 2ans d’emprisonnement et 30 000 € d’amende (article 222-33-2 du code pénal). Quant aux discriminations liées au harcèlement moral ou sexuel elles sont punies d’un an d’emprisonnement et d’une amende de 3750 €.

La juridiction peut également ordonner, à titre de peine complémentaire, l’affichage du jugement aux frais de la personne condamnée dans les conditions prévues à l’article 131-35 du code pénal et son insertion, intégrale ou par extraits, dans les journaux qu’elle désigne.

Ces frais ne peuvent excéder le montant maximum de l’amende encourue.

 Quelques jurisprudences

CRITÈRES

  • Le harcèlement moral est constitué, indépendamment de l’intention de son auteur, dès lors que sont caractérisés des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d’altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel (Cass. soc., 10 juillet 2009 n° 08-41.497).
  • Même injustifiée, une rétrogradation ne caractérise pas à elle seule l’existence d’un harcèlement moral (Cass. soc., 9 décembre 2009, n° 07-45.521).
  • L’absence de relation entre l’état de santé et la dégradation des conditions de travail, ne permettait pas à la cour d’appel de rejeter la demande du salarié (Cass. soc., 30 avril 2009, n° 07-43.219 FS-PB).
  • Des agissements répétés, même sur un laps de temps très court, peuvent être qualifiés de harcèlement moral (Cass. soc. 26 mai 2010 n° 08-43.152).

PROTECTION

  • Sauf mauvaise foi caractérisée, un salarié ne peut être licenciée pour faute grave pour avoir formulé des accusations de harcèlement à l’encontre de ses supérieurs hiérarchiques (Cass. soc., 17 juin 2009 n° 07-44.629).
  • L’employeur doit répondre des agissements des personnes qui exercent, de fait ou de droit, une autorité sur les salariés. L’absence de faute de sa part ne peut l’exonérer de sa responsabilité. Il engage donc sa responsabilité au titre de l’obligation de sécurité de résultat à laquelle il est tenu envers ses salariés, notamment en matière de harcèlement moral, dès lors que le tiers désigné comme l’auteur des faits de harcèlement moral était chargé par lui de mettre en place de nouveaux outils de gestion, devait former la responsable du restaurant et son équipe et pouvait dès lors exercer une autorité de fait sur les salariés. (Cass. soc., 1er mars 2011, n° 09-69.616 F-PB)
  • Dans un arrêt du Conseil d’État du 20 juillet 2011 aligne le statut des agents publics sur celui des salariés du privé en matière de harcèlement moral : les fonctionnaires bénéficient d’un allègement de la preuve et en cas de harcèlement avéré l’employeur verra sa responsabilité automatiquement engagée.

CONSÉQUENCES

  • Il n’entre pas dans les pouvoirs du juge d’ordonner la modification ou la rupture du contrat de travail du salarié auquel sont imputés de tels agissements, à la demande d’autres salariés, tiers à ce contrat. Par application de l’article L. 1152-4 du Code du travail, l’employeur doit prendre toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral (Cass. soc., 1er juillet 2009, n° 07-44.482 FS-PBR).
  • L’employeur ne peut licencier un salarié malade pour la perturbation causée au fonctionnement de l’entreprise par son absence prolongée si celle-ci est la conséquence du harcèlement moral dont il a été l’objet (Cass. soc., 24 juin 2009, n° 07-43.994 F-D).

[1Harcèlement moral : sa définition

« Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de
harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une
dégradation de ses conditions de travail susceptible de
porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa
santé physique ou mentale ou de compromettre son
avenir professionnel. » (Article 1152-1 du code du travail)


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