Emploi d’Avenir Professeur

Le point de vue de SUD éducation
vendredi 24 août 2012
par  SUD Education NICE
popularité : 2%

Le 10 août, le Ministère de l’Éducation Nationale a convoqué dans l’urgence une séance exceptionnelle du Conseil Supérieur de l’Éducation pour le 24 août 2012, spécialement consacrée au dispositif « Emploi d’Avenir Professeur ». Le gouvernement a en effet décidé que 6 000 « Emplois d’Avenir » seraient dévolus à ce qu’il présente comme un pré-recrutement d’étudiant-e-s voulant devenir enseignant-e-s. A partir du Projet de loi portant création des emplois d’avenir, dont l’article 2 porte sur les Emplois d’Avenir Professeur, et des annonces gouvernementales à la presse, SUD éducation propose une présentation avec une analyse critique et revendicative de ce dispositif.

Saint-Denis, le 23 août 2012

Présenté, avec le « contrat de génération » comme un des deux actes de la politique du gouvernement en faveur de l’emploi des jeunes, l’Emploi d’Avenir est un nouveau contrat aidé précaire, très éloigné d’une véritable politique de lutte contre le chômage.

Le volet Emploi d’Avenir Professeur est certes plus avantageux que les dispositifs existants.

Mais pour SUD éducation il s’agit d’une réponse inadaptée aux dégâts de la mastérisation, à la « crise du recrutement » et aux besoins des étudiant-e-s :

  • Il s’inscrit dans une logique libérale du « donnant-donnant », et non dans une dynamique de droits, en l’occurrence du droit aux études supérieures
  • Il se limite aux seul-e-s étudiant-e-s se destinant au professorat et ne règle en rien la question de l’autonomie de l’ensemble de la jeunesse en formation ou privée d’emploi
  • Il ne suffira pas à contrecarrer une baisse du nombre de candidat-e-s aux concours de l’enseignement liée aux politiques éducatives libérales et accentuée par la mastérisation
  • Au lieu d’abroger la mastérisation du recrutement, le gouvernement cherche à corriger de manière très insuffisante certains effets de l’allongement des études

 L'Emploi d'Avenir, un nouveau contrat aidé précaire, très éloigné d'une véritable politique de lutte contre le chômage

L’« Emploi d’Avenir » est le nouveau contrat aidé promis par le candidat Hollande, et dont la mise en œuvre devrait être l’une des toutes premières mesures législatives de la rentrée. 150 000 Emplois d’Avenir devraient être créés d’ici 2014 à l’intérieur du dispositif du Contrat Unique d’Insertion (CUI), décliné en Contrats d’Accompagnement dans l’Emploi (CAE) pour le secteur non-marchand (qui est essentiellement visé par le dispositif) et en Contrat Initiative Emploi (CIE) dans le secteur marchand.

Orienté vers les jeunes de 16 à 25 ans sans qualification ou peu qualifié-e-s et issu-e-s des « zones urbaines sensibles », il s’agit d’un contrat pouvant aller d’un an (renouvelable trois ans maximum) à trois ans, en temps plein payé au SMIC, financé à 75 % par l’État.

En comparaison avec les autres contrats du même type qui se sont multipliés sous diverses dénominations depuis les années 80 (TUC, SIVP, emplois jeunes, CI-RMA, CES, CEC, CAV, CAE, CIE, CUI…), il n’y a ici pas de mesure dérogatoire menant à payer le travail en-dessous du SMIC, l’emploi étant cette fois à temps plein (sauf exceptions).

Mais la logique reste la même, bien loin d’une véritable politique de lutte contre le chômage.

Présenté, avec le « contrat de génération » comme un des deux actes de la politique du gouvernement en faveur de l’emploi des jeunes, la mise en place de ce genre de contrat repose sur une idéologie libérale selon laquelle le chômage est dû, d’une part à la mauvaise volonté des chômeurs/euses – auxquels il faudrait, selon Sapin, « mettre le pied à l’étrier » (sic) – et, d’autre part, à un « coût du travail » trop élevé. Il s’agit donc encore une fois de précariser l’emploi des « bénéficiaires », dont l’« avenir » est suspendu à la reconduction d’un contrat le plus souvent annuel… et limité à 3 ans.

SUD éducation lutte pour le droit à l’emploi et revendique l’institution d’un statut du salarié, la diminution du temps de travail, l’abolition des licenciements, de véritables créations d’emplois publics, la titularisation de tou-te-s les précaires et l’arrêt du recrutement de précaires.

 « Emploi d'Avenir Professeur » : une réponse inadaptée aux dégâts de la mastérisation, à la « crise du recrutement » et aux besoins des étudiant-e-s Une partie des 150 000 Emplois d'Avenir sera affectée à ce que le gouvernement présente comme un pré-recrutement de professeur-e-s.

  • Pour bénéficier du dispositif Emploi d’Avenir Professeur, les étudiant-e-s, qui devront être âgé-e-s de 25 ans au plus, s’engageront à poursuivre leurs études et à se présenter à un concours de recrutement des enseignant-e-s. 6 000 « Emplois d’Avenir Éduction » seraient créés chaque année de 2012 à 2014 – il y en aurait donc à terme 18 000.
  • Ce dispositif est prioritairement destiné à des jeunes issus de « zones urbaines sensibles » ou de l’éducation prioritaire, qui étudient dans des académies ou des disciplines en déficit de candidat-e-s aux concours.
  • Les « bénéficiaires » signeront un contrat d’un an (au niveau de la 2e année de Licence), renouvelable dans la limite de 3 ans (soit maximum jusqu’au niveau de la 1re année de Master), dans le cadre du CUI-CAE. Ils/elles seront recruté-e-s par les Établissement Publics Locaux d’Enseignement (EPLE) – c’est-à-dire les collèges et les lycées – pour effectuer des heures de travail allant progressivement d’activités périscolaires (en L2) à l’enseignement (en M1) dans des lycées, des collèges ou des écoles (éventuellement avec plusieurs lieux de travail) pour une durée inférieure à un mi-temps, avec une flexibilité possible sur les horaires.
  • Réservé aux étudiant-e-s boursier-e-s, en cumulant la bourse sur critère social, la rémunération des heures effectuées dans le cadre du CUI-CAE, et une bourse de service public qui à partir de 2013 viendra spécialement compléter financièrement les Emplois d’Avenir Professeur, le revenu des « bénéficiaires » sera de l’ordre de 900 euros, ce qui revient pour l’État à un investissement supplémentaire de 400 euros par étudiant-e selon Les Échos du 31/07/2012.

L’inscription précipitée de ce dispositif dans le cadre mal taillé pour lui des « Emplois d’Avenir » répond à une logique d’austérité budgétaire. Plutôt que de budgéter un nouveau dispositif pour répondre à la « crise du recrutement » des enseignant-e-s et à certains des problèmes soulevés par la mastérisation, le gouvernement a préféré y affecter une partie des crédits destinés à la création d’emplois aidés, diminuant ainsi le coût budgétaire des Emplois d’Avenir (400 euros de plus par étudiant-e, c’est moins que les 75% du SMIC que l’État devra financer pour un Emploi d’Avenir ordinaire).

Avec le dispositif Emploi d’Avenir Professeur, une partie des étudiant-e-s qui veulent devenir enseignant-e-s recevront un revenu de l’ordre de 900 euros pour financer trois de leurs années d’étude, contre un travail pour l’Éducation Nationale de l’ordre d’un mi-temps.

Pour SUD éducation, même si le dispositif Emploi d’Avenir Professeur est plus avantageux que l’existant pour les étudiants se destinant au professorat, il n’est non seulement pas à la hauteur de l’urgence et des besoins, mais il s’inscrit encore dans une logique libérale en matière d’études, de politique d’emploi et d’éducation.

 Des défauts intrinsèques au dispositif, qui répond mal aux besoins des étudiant-e-s

Le dispositif Emploi d’Avenir Professeur présente en lui-même un certain nombre de déficiences :

  • Un nombre limité : avec 6 000 Emplois d’Avenir Professeur par an, les deux tiers des futur-e-s professeur-e-s n’en bénéficieront pas et le dispositif est fermé aux autres concours de la Fonction publique… il ne répond en rien aux besoins de financement des autres étudiant-e-s de milieux populaires.
  • Un travail néfaste aux études : les bénéficiaires devraient travailler un certain nombre d’heures par semaine pour l’Éducation Nationale pendant leurs études, au détriment de leurs conditions d’études, comme l’attestent les enquêtes sur le travail salarié des étudiant-e-s ; à cela la flexibilité des horaires vient ajouter une condition qui ne sera sans doute pas toujours utilisée au bénéfice des étudiant-e-s ;
  • Un choix d’orientation professionnelle précoce : beaucoup décident de s’orienter vers l’enseignement, dans le secondaire en particulier, au cours de leurs études ; ce dispositif, par les engagements qu’il comporte, impose un choix dès la 2e année de Licence ;
  • Un contrat qui continue de saper le service public : le recours par l’État à des contrats de droit privé (CAE-CUI) illustre à quel point le service public d’éducation se disloque ;
  • Un recrutement local qui soumet les étudiant-e-s/travailleurs-ses au plus grand arbitraire hiérarchique, la reconduction de leur contrat étant soumise au bon vouloir d’un chef d’établissement. Mais ce dispositif soulève aussi des questions auxquelles le projet de loi ne répond ni dans l’exposé des motifs, ni dans ses dispositions légales, et sur lesquelles le gouvernement n’a pour le moment apporté aucune information :

Que signifie la limitation à 3 années ?

La limitation générale des Emplois d’Avenir à 3 ans débouche sur des absurdités flagrantes pour des études qui en durent au moins 5 avec la mastérisation.

Pourquoi commencer en 2e année de Licence ?

Pourquoi s’arrêter en Master 1 ?

Comment feront les étudiant-e-s de Master 2 ?

Faut-il en déduire que le gouvernement a décidé que le concours serait avancé en fin de Master 1, et que l’année de Master 2 se ferait sous le statut de fonctionnaire stagiaire ?

Ou bien les étudiant-e-s de M2 seront-ils/elles contraint-e-s de travailler encore davantage pour financer leurs études (notamment via des « stages rémunérés » dans l’Éducation Nationale) ?

Et qu’en sera-t-il pour les étudiant-e-s qui redoubleraient une année, en L2, L3 ou M1 ?

Dans cette société de « winners », un échec scolaire doit-il se payer de sanctions financières ?

Quelle sera la durée effective du travail demandé aux bénéficiaires du dispositif ?

Le projet de loi indique dans l’exposé des motifs une durée du travail inférieure à un mi-temps, et l’article L.5134-124 stipule que « L’emploi d’avenir professeur prévoit une durée hebdomadaire inférieure à la durée légale du temps de travail dans la limite d’un plafond défini par décret. »

Aucun projet de décret n’a à ce jour été communiqué aux organisations syndicales. Sur quelle base la quotité de travail sera-t-elle calculée ?

Le volume horaire sera-t-il ajusté en fonction du montant des bourses reçues par ailleurs par l’étudiant-e-s ?

Le dispositif « Emploi d’Avenir Éduction » s’inscrit dans une logique libérale du « donnant-donnant », et non dans une dynamique de droits, en l’occurrence du droit aux études supérieures.

SUD éducation revendique la reconnaissance effective d’un droit aux études supérieures, leur gratuité, et l’instauration d’un revenu socialisé pour tou-te-s les jeunes en formation ou privé-e-s d’emploi, versé à partir de l’âge de la fin de la scolarité obligatoire.

 Une réponse à la « crise du recrutement » qui manque l'essentiel

Cette mesure « Emploi d’Avenir Éduction » se veut une réponse gouvernementale à la « crise du recrutement ».

Contrairement à ce qu’avait affirmé la DRH du Ministère de l’Éducation Nationale, Josette Théophile, à l’issue des concours de 2011, la baisse du nombre de candidat-e-s aux concours de recrutement des enseignant-e-s ne peut être réduite à un effet ponctuel de transition lié au calendrier de mise en œuvre de la mastérisation. Cette année encore le problème s’est manifesté. Malgré une campagne publicitaire et un report des dates limites d’inscription aux concours, le déficit est confirmé pour la prochaine session.

Les causes en sont assez largement connues, elles ont pour l’essentiel leur origine dans les transformations libérales profondes qui ont progressivement été imposées au système éducatif ces dernières décennies : dégradation des conditions de travail ; pressions, flicage et arbitraire hiérarchiques ; mise en concurrence généralisée des personnels et des établissements ; baisse du niveau de vie ; limitation des garanties collectives…

La casse de la formation professionnelle et l’augmentation de la durée des études provoquées par la mastérisation en sont des facteurs supplémentaires, auxquels on peut ajouter une image dégradée de la profession, alimentée par un discours patronal et gouvernemental qui, d’Allègre à la campagne présidentielle 2012 de Sarkozy, a fait du populisme anti-profs un véritable fond de commerce.

Le dispositif « Emploi d’Avenir Éducation », conçu pour attirer des étudiant-e-s vers le professorat, ne suffira pas à contrecarrer une baisse du nombre de candidat-e-s aux concours de l’enseignement désormais structurelle, liée aux politiques éducatives libérales et accentuée par la mastérisation.

SUD éducation lutte pour une tout autre politique éducative, ce qui suppose notamment : de mettre fin aux pressions hiérarchiques pour aller vers l’autogestion ; des moyens matériels et humains garantissant des conditions de travail correctes pour les élèves et pour les personnels (notamment via une diminution du nombre d’élèves par classe) ; une diminution le temps de travail et l’augmentation des salaires de tous les personnels ; l’arrêt de la mise en concurrence (carte scolaire, évaluations, primes, heures sup’…).

Et il faut abroger la mastérisation plutôt que de chercher à y coller des rustines.

 Abrogation de la mastérisation : une occasion en or refusée par V. Peillon

En réponse à une réforme du recrutement et de la formation des enseignant-e-s critiquée de toute part, et pour faire face au déficit de candidat-e-s aux concours de l’enseignement, le gouvernement a choisi comme seule mesure d’urgence de mettre en place le dispositif Emploi d’Avenir Professeur. Il avait pourtant l’occasion rêvée de faire beaucoup mieux très facilement, en refusant de reconduire la mastérisation.

Début juin, suite à un recours déposé par la fédération SUD éducation, la FCPE et Sauvons l’Université, le Conseil d’État a en effet retoqué des décrets instituant la mastérisation, et il suffisait au nouveau Ministre de ne pas les reprendre pour que la mastérisation soit abrogée.

Mais Peillon a préféré reconduire le dispositif voulu par Darcos et Chatel, en diminuant à peine le temps de présence devant élèves des enseignant-e-s stagiaires 2012/2013, qui seront quasiment à temps plein en responsabilité face à leur(s) classe(s).

Encore une année noire en perspective pour les nouveaux/elles enseignant-e-s.

Depuis le début, SUD éducation dénonce la réforme de mastérisation du recrutement des enseignant-e-s et lutte pour son abrogation :

  • Elle revient à supprimer la formation professionnelle et elle met les stagiaires dans des conditions inacceptables ;
  • Elle est un instrument de précarisation, de flexibilisation et de casse des statuts ;
  • L’allongement de la durée d’étude accentue la sélection sociale en éloignant des métiers de l’enseignement les étudiant-e-s aux revenus les plus modestes, qui éprouvent des difficultés à financer des études longues.

Le dispositif « Emploi d’Avenir Professeur » ne répond pas aux dégâts de la mastérisation. Il cherche à corriger de manière très insuffisante certains effets de l’allongement des études.

SUD éducation revendique l’abrogation de la mastérisation du recrutement, un recrutement sur concours à l’issue de la licence, deux années de formation professionnelle sous statut de fonctionnaire stagiaire dont une partie en alternance, avec un temps en responsabilité devant les élèves inférieur à un tiers-temps, l’ensemble étant validé par la délivrance d’un master.

Le dispositif Emploi d’Avenir Professeur est plus avantageux que les dispositifs existants. Dans la situation actuelle de chômage de masse et de pauvreté étudiante, il ne manquera certainement pas de candidat-e-s. Et on les comprend.

Mais pour SUD éducation, ce dispositif n’est pas à la hauteur de l’urgence et des besoins, et il s’inscrit encore dans une logique libérale en matière d’études, de politique d’emploi et d’éducation.

La fédération SUD éducation portera ses analyses, ses critiques, ses revendications et ses questions dans le cadre des instances où elle siège, à commencer par le CSE le 24 juillet, et dans les réunions de la concertation « pour la refondation de l’école ».

Mais, on le voit bien, les choix du gouvernement sont pour l’essentiel déjà arrêtés, et ils ne vont pas dans le sens d’une rupture avec les logiques libérales pour une politique éducative véritablement alternative.

Pour l’Éducation Nationale comme pour l’ensemble des questions qui touchent au monde du travail, un véritable changement dépend avant tout de nos mobilisations. SUD éducation s’emploiera à les construire, et invite les personnels à se réunir pour débattre des revendications et des moyens à mettre en œuvre pour obtenir satisfaction.

  Le gouvernement a changé, pas nos revendications

 Reprenons le chemin des luttes pour gagner !


Commentaires

Agenda

<<

2024

 

<<

Avril

 

Aujourd’hui

LuMaMeJeVeSaDi
1234567
891011121314
15161718192021
22232425262728
2930     
Aucun évènement à venir les 2 prochains mois

Statistiques

Dernière mise à jour

lundi 18 mars 2024

Publication

706 Articles
Aucun album photo
8 Brèves
15 Sites Web
6 Auteurs

Visites

89 aujourd’hui
119 hier
1140642 depuis le début
2 visiteurs actuellement connectés