Manquements, action disciplinaire et insuffisance professionnelle

vendredi 10 avril 2009
par  SUD Education NICE
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La direction des affaires juridiques est régulièrement saisie du cas d’agents qui n’exécutent pas convenablement les missions qui leur sont dévolues. Il est en effet parfois difficile de déterminer si le fait de ne pas faire son travail ou de mal le faire, constitue une faute professionnelle, une insuffisance professionnelle, voire même résulte d’un état pathologique.

Avant d’envisager les suites qui pourraient être réservées à ces manquements, il importe
d’abord de s’assurer que des faits précis et vérifiables sont reprochés à l’agent, dont la matérialité, pour reprendre l’expression du juge administratif, « est établie par les pièces du dossier ».

  I. Sur la question de l'état de santé de l'agent

Il convient d’examiner si les faits reprochés à l’agent peuvent laisser penser que, du fait de troubles physiques ou mentaux connus ou suspectés, l’intéressé pourrait n’être pas considéré comme responsable des actes qui lui sont reprochés (C.E., 13.05.1992, n° 106098).

Dans ce cas, en effet, une sanction disciplinaire ne peut valablement être prononcée (C.A.A., Lyon, 06.05.1998, n° 94LY01823), et l’agent ne peut davantage faire l’objet d’un licenciement pour insuffisance professionnelle.

Toutefois, si cet état pathologique est imputable à l’intéressé lui-même, l’agent sera considéré comme responsable des manquements invoqués, et une procédure disciplinaire pourra être envisagée (C.E., 21.05.1994, n° 109394, dans un cas de manifestations
d’éthylisme ayant entraîné une radiation des cadres).

Par ailleurs, il ne suffit pas qu’un trouble physique ou mental soit suspecté, invoqué ou attesté, il faut également qu’il ait un rapport direct avec les faits reprochés (C.E., 13.05.1992, n° 106098 : éthylisme, révocation prenant effet à expiration d’un congé maladie ; C.A.A., Paris, 30.12.2005, n° 02PA04061 : troubles pathologiques mais révocation ; C.A.A., Nancy, 29.01.2004, n° 99NC00560 : troubles physiques et de santé mais licenciement pour insuffisance professionnelle).

Le cas échéant, le comité médical sera saisi afin de se prononcer sur l’état de santé de
l’agent (C.A.A., Lyon, 03.10.1997, n° 94LY01823.).

 II. Sur la distinction entre faute professionnelle et insuffisance professionnelle

Hormis les cas où l’état de santé de l’agent peut être mis en cause, le problème récurrent auquel est confronté l’administration, comme tout employeur, est de cerner la limite entre faute et insuffisance professionnelle.

1. L’insuffisance professionnelle

S’il n’existe pas de définition précise des actes qui auraient le caractère de fautes disciplinaires, l’insuffisance professionnelle traduit l’incapacité d’un agent à exécuter de manière satisfaisante les tâches qui lui sont confiées. C’est la compétence de l’agent qui est mise en cause, son manque d’efficacité, de motivation ou son inaptitude à exécuter de façon satisfaisante les fonctions correspondant à ses qualifications et son niveau d’emploi.

S’agissant de faits traduisant l’incompétence d’un agent, et donc une insuffisance professionnelle, peuvent être évoqués, à titre d’exemple, des « erreurs d’interprétation et de compréhension, des initiatives inopportunes », permettant notamment de conclure à « un comportement inadapté au sein d’une structure administrative hiérarchisée » (C.A.A., Paris, 09.10.2006, n° 03PA00167), une « mauvaise exécution des ordres de service, un manque d’investissement dans les fonctions » (C.A.A., Paris, 21.11.2006, n° 04PA00634) ou encore un manque « de sérieux et de rigueur dans l’accomplissement des missions […] confiées » (C.A.A., Paris, 20.03.2007, n° 06PA01849).

De manière générale, il est fondamental de déterminer si l’agent fait montre de mauvaise volonté (faute) ou non (insuffisance professionnelle).

Par ailleurs, la circonstance que, avant les faits reprochés, la manière de servir d’un agent n’ait fait l’objet que de bonnes appréciations, ou que l’intéressé exerce convenablement une partie de ses fonctions n’interdit pas à l’administration de conclure à son insuffisance professionnelle. Ainsi, une enseignante dont « les qualités proprement pédagogiques » ne sont pas en cause, mais à laquelle sont reprochées des « difficultés relationnelles […] tant avec ses collègues, qu’avec ses supérieurs hiérarchiques, qu’avec les inspecteurs ou qu’avec certains parents d’élèves » pourra être considérée comme « professionnellement insuffisant[e] » et, de ce fait, licenciée (C.A.A., Bordeaux, 05.12.2006, n° 05BX01291).

En tout état de cause, sauf si l’agent accomplit une période probatoire, le licenciement d’un fonctionnaire pour insuffisance professionnelle ne peut intervenir qu’après l’observation de la procédure disciplinaire (convocation de l’instance disciplinaire compétente et accès au dossier, notamment). La réunion du conseil de discipline, et notamment l’audition de l’agent et de ses supérieurs hiérarchiques, le cas échéant, peut ainsi permettre à l’administration de déterminer s’il convient de sanctionner l’intéressé, de constater son incompétence, voire même de soumettre son cas au comité médical compétent avant de se prononcer.

2. Le caractère déterminant de la motivation invoquée

La motivation retenue par l’administration, qui doit être retranscrite dans la décision adoptée, est fondamentale, ainsi que l’illustre le cas suivant :

Au motif notamment de l’ « incapacité [d’une enseignante] à faire régner l’ordre et la discipline dans ses classes », une sanction d’exclusion temporaire des fonctions a d’abord été prononcée. Cette décision a été annulée par le juge au motif que « ces faits relèvent de l’inaptitude professionnelle et ne sont pas de nature à justifier légalement l’application d’une sanction disciplinaire » (C.E., 25.03.1988, n° 84889).

Un peu avant l’intervention de cette décision, une nouvelle suspension de fonction avait été prononcée à l’encontre de la même enseignante, fondée cette fois sur des faits de même nature, intervenus postérieurement à la précédente sanction, mais motivés par « le constat du refus systématique de l’intéressée d’assurer la discipline dans ses classes, lequel met en cause la sécurité des élèves et perturbe gravement le déroulement des cours dans les classes voisines ».

Le juge administratif a cette fois confirmé « qu’une telle attitude constitue, comme l’indique cet arrêté, une faute de nature à justifier une sanction disciplinaire » (C.E., 12.12.1994, n° 116952, inédit au Recueil Lebon : exclusion temporaire de fonctions de 18 mois).

Ainsi, des faits similaires, voire identiques, peuvent traduire l’insuffisance professionnelle (inaptitude de l’agent, et donc absence de faute) ou la négligence professionnelle (manquement délibéré de l’agent, refus de modifier son comportement, et donc faute). Dans ce dernier cas seulement, une sanction disciplinaire pourra valablement être prononcée (C.E., 26.03.1996, n° 119908, aux tables, p. 989 : sanction de mise à la retraite d’office ; voir également la notion de « caractère intentionnel des faits » évoquée dans l’arrêt CAA, Marseille, 11.12.2007, n° 07MA01501 : sanction de révocation).

3. La négligence professionnelle

La notion de « négligence professionnelle » peut être illustrée par le cas d’un facteur, auquel étaient reprochés des retards et des carences dans la distribution et le dépôt du courrier, la tardiveté des horaires de passage et la confusion des adresses. L’administration, qui faisait état de plusieurs formations et d’une « aide quotidienne » dispensées à l’agent, avait indiqué n’avoir jamais constaté d’amélioration ni dans le travail ni dans le comportement, « que l’agent s’était formellement refusé à modifier » (C.A.A., Nantes, 28.09.2006, n° 05NT01084, le juge a rejeté la demande d’annulation de la sanction d’exclusion temporaire de 18 mois dont 14 mois avec sursis).

4. La prise en compte de fautes dans le cadre d’un licenciement pour insuffisance professionnelle

Il est rappelé que le juge administratif annule des sanctions disciplinaires au motif que, dans les circonstances de l’espèce, les faits invoqués traduisent une incapacité de l’agent (cas de l’enseignante précédemment évoquée, C.E., 25.03.1988, n° 84889).

En ce sens, la motivation retenue à l’appui d’une éventuelle décision est fondamentale.

En revanche, des « faits susceptibles de constituer des fautes de nature à justifier l’application de sanctions disciplinaires » peuvent fonder un licenciement pour insuffisance professionnelle dès lors qu’ils attestent également de l’incapacité du requérant à assurer ses fonctions.

Ainsi, des retards non justifiés de prise de service peuvent constituer un manquement à une obligation professionnelle, et justifier une sanction (C.A.A., Versailles, 17.07.2008, n° 07VE00639) mais aussi être considérés comme une incapacité de se plier aux horaires de services, et venir à l’appui d’un licenciement pour insuffisance professionnelle (C.A.A., Paris, 20.03.2007, n° 06PA01849 ; C.A.A., Paris, 27.02.2007, n° 04PA03432).

De même, alors qu’il était reproché à un professeur d’éducation physique et sportive, depuis plusieurs années, de mettre en œuvre des pratiques pédagogiques inadaptées, l’intéressé a confirmé, de manière constante, « sa volonté de poursuivre son enseignement selon les mêmes méthodes » (donc, refus de l’agent, de nature à justifier une sanction disciplinaire). Un blâme avait d’ailleurs été prononcé contre l’agent.

Toutefois, cette sanction n’ayant eu aucune incidence sur les choix pédagogiques de l’intéressé, l’administration a pu ensuite prononcer valablement son licenciement pour insuffisance professionnelle, compte tenu de son inaptitude à exercer ses fonctions (C.A.A., Douai, 20.06.2006, n° 05DA00369).

5. Les mesures à envisager préalablement à un licenciement pour insuffisance professionnelle

Avant d’engager une procédure de licenciement pour insuffisance professionnelle, mesure dont les conséquences sont nécessairement lourdes pour l’agent, il convient de s’assurer qu’ont été prodigués à l’intéressé, de manière réitérée, des conseils, instructions, ou rappels à l’ordre, attestés par des éléments du dossier (C.A.A., Nancy, 29.01.2004, n° 99NC00560 ; C.A.A., Douai, 20.06.2006, n° 05DA00369 ; C.A.A., Paris, 12.12.2006, n° 03PA02998, C.A.A., Paris, 27.02.2007, n° 04PA03432).

Il convient également de juger de l’opportunité de formations complémentaires (C.A.A., Douai, 20.06.2006, n° 05DA00369 ; C.A.A., Nantes, 28.09.2006, ° 05NT01084) même si l’administration n’y est pas réglementairement tenue (C.A.A., Douai, 20.06.2006, n° 05DA00369). En tout état de cause, s’il est possible de sanctionner un agent à raison d’un seul manquement, voire de manquements commis sur une courte période, il est difficilement concevable de prononcer son licenciement pour insuffisance professionnelle à raison de ce type de faits, surtout si l’intéressé vient de changer de fonctions ou d’outil de travail.

Le juge requiert de l’administration qu’elle vérifie préalablement si l’affectation sur un autre emploi ou, le cas échéant, une sanction disciplinaire adaptée sanctionnant des manquements fautifs commis par l’agent, pourrait lui permettre de faire la preuve de son aptitude professionnelle, ou l’inciter à modifier son comportement ou ses méthodes (C.A.A., Bordeaux, 05.12.2006, n° 05BX01291 ; C.A.A., Paris, 20.03.2007, n° 06PA01849).

En ce qui concerne le juge judiciaire, il soumet tout employeur entrant dans le champ d’application du code du travail à l’obligation d’assurer l’adaptation des salariés à l’évolution de leur emploi (Cass. soc, 25.02.1992, n°89-41.634, S Expovit), ceux-ci devant, en retour, s’adapter à l’évolution de leur emploi, dès lors que l’employeur apporte la preuve qu’une formation suffisante et adaptée leur a été proposée.

Est alors jugé fautif le licenciement d’un salarié qui a commis des erreurs, sur une courte période, après la mise en place d’un nouveau logiciel, alors que l’employeur n’a pas satisfait à son obligation de proposer une formation appropriée (Cass. soc, 21.10.1998, n° 96-44.109).

Nathalie Maes

Référence bibliographique :

Bandet, Pierre. L’action disciplinaire dans les trois fonctions publiques, 2e édition.

source : DAJ [SG] Direction des affaires juridiques

www.education.gouv.fr - www.enseignementsup-recherche.gouv.fr


Direction des affaires juridiques de l’éducation nationale :

https://www.pleiade.education.fr/po...


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